Depuis plusieurs jours, on lit ça et là qu’il ne faut pas perdre le rythme, avoir des repères, ne pas se laisser aller et donc continuer de s’habiller… Le pyjama à perpétuité signerait la fin des haricots et la perte de nos qualités d’animaux sociaux.
Intéressant d’observer comment se vêtir fait partie on pourrait le dire ainsi des gestes barrière pour éviter les premiers signes de folie. Cette prise de conscience simultanée avec l’arrivée du printemps et donc l’hiver au placard, le chassé-croisé entre pulls à col roulé et chemises en lin froissé engage une réflexion moins anecdotique qu’elle n’y paraît sur le pouvoir « magique » des habits pour les grands mais aussi les petits. Ne vous êtes-vous pas d’ailleurs surpris à râler d’être « obligé » de vous rendre présentable pour une vidéo-conférence pro ou retrouver des proches pour un apéro par webcam interposée quand vous aviez trouvé un rythme de croisière en combo legging-hoodies, no make-up, no bra (en anglais c’est plus sympa) ?
On voit que pour démarrer la journée, garder un semblant d’humanité, on quitte jogging et autre tee-shirt informes, histoire de montrer l’exemple à la jeune génération pour qui être endimanché n’était jusqu’hier rien d’autre que garder ses vêtements de nuit.
Je me suis entendue dire : « On est lundi, on s’habille ».
En effet, après une semaine de Friday Wear, comprenez « vendredi tout est permis, depuis lundi, mardi, mercredi et aussi jeudi », on se dit qu’en ce deuxième lundi à l’ombre, il est temps de s’amuser et puisque tout est à réinventer, commençons par s’imaginer d’autres vies en ressortant tous nos habits.
Dans un élan qui va de Marie Kondo en mode « grand ménage » à Sophie Fontanel, Observatrice du dressing personnel, l’idée est simple et a un double intérêt : ranger et créer, se parer pour se marrer. Activité accessible dès l’âge de deux ans, seul.e ou à plusieurs. Avec ou sans miroir. Au choix. Effets secondaires désirés.
Dès lors, la routine devient un vieux souvenir.
Fini le look normcore pour gagner du temps de cerveau disponible et éviter de flinguer ses beaux vêtements pendant l’activité peinture de la matinée à orchestrer, entre deux mails à envoyer. On sort donc son jeans blanc avec assurance et par amour du risque mais aussi de l’art, on mise sur l’avenir et prie pour éviter un accident du futur Pollock qui n’aurait aucune pitié à baptiser l’indomptable pantalon jusqu’alors immaculé, et ne plus rien avoir à regretter.
Fini l’ennui d’un jour sans fin, chaque lendemain est une surprise à venir pour vous-même et votre entourage. Plutôt qu’une croix sur le calendrier, privilégiez « un style, une journée ». Sachez étonner en mixant couleurs, bijoux, matières et autres froufrous avec un seul mot d’ordre : « la mode c’est vous, c’est tout ». N’ayez pas peur de choquer pour stimuler, on s’en fout, Anna Wintour a passé son tour. Lancez des défis, réveillez les âmes joueuses et frondeuses. Vous verrez, les petits seront vos amis. Et plutôt que de faire un énième quatre-quarts, jouer à « déguiser c’est gagner », l’occasion de faire du tri, d’inventer des horizons de rire, d’assumer son côté Queer.
Finie la parisienne qui est en vous (même si vous êtes une fille de l’est – Big up Patricia Kaas). Vive la faute de goût – qui plus est si elle ne sort pas de chez vous. Osez ce que vous ne vous êtes jamais autorisé. L’overdressed n’est plus de ce monde. Et cet entraînement n’en sera que plus bénéfique lorsque ce sera votre tour hebdomadaire de sortir pour acheter du lait UHT et des petits Yoplait. Le confinement n’interdisant pas en effet une certaine élégance.
Finis les vêtements à usage normé. Coupez, cousez, transformez des robes trop longues, sauvez des pantalons à repriser, inventez des foulards à enfiler, des chemises-tabliers, des colliers lacets. Avec pour unique règle : toute création ne doit pas empêcher de danser.
Alors si cela semble désuet, un brin futile, un détail pour vous dans ce scenario fou que nous traversons, pour moi ça veut dire beaucoup. L’habit ne fait pas le moine, en effet. Pourtant, reclus dans nos couvents improvisés, la façon dont on s’habille en dit long sur nos états d’âme. Nos corps qui se meuvent au ralenti autant que les vêtements qui les enveloppent parlent pour nous. Qui n’a pas eu un sursaut en sortant de sa douche, prêt à remettre son linge sale dans un geste mécanique comme Guillaume Depardieu dans Les Apprentis ? Qui n’a pas failli devant l’insistance des fauves en cage pour faire une cabane géante dans le salon (territoire jusqu’alors non colonisé), à grand renfort de Tancarville et de rideaux et ainsi, disparaître sous le tapis comme Les Évadés ?
Jurez-moi que cette situation n’a rien changé dans votre relation au placard et je vous laisse libre, pour aller réviser vos classiques et vous abonner à l’Étiquette (placement de produits).
Ce grand déballage pour s’aérer et retrouver une certaine innocence.
Ce grand ménage pour casser les codes, se déguiser pour s’essayer à d’autres vies.
Une nouvelle saison comme on dit pour réfléchir à ces costumes que l’on porte, qui nous usent, faire sa mue, être bien dans sa peau, continuer à s’exprimer quand il nous manque les mots.
Dans sa chambre à elle, comment Virginia s’habillait-elle ? Paraît qu’elle raffolait des bals costumés. Dans notre chambre à nous, on apprivoise un nouveau nous. On pousse les murs, on fait de la place. On se regarde en face. Dans cette chambre, il y a de la place pour une nouvelle aventure faite de tentures, de breloques, de fil à coudre, de coton à colorier, à découper, de laine à tricoter, de créatures à inventer. Dans cette chambre, il y a un avenir, un studio à inventer, où jouer, où se déguiser, où se découvrir, où explorer, où grandir.
To be continued.