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6 avril 2020 1 06 /04 /avril /2020 16:26

Aujourd’hui, il pleut.

Nous étions passés à travers, jusqu’ici.

Rien ne nous empêchait, pas même les petits degrés, de prendre l’air dans cette cour.
Sortie enfermés, nous sommes pourtant des privilégiés. 

L’heure de la promenade jamais manquée. Prisonniers chez nous, nous n’avons jamais autant observé le cerisier en fleurs, le va-et-vient des mésanges et compté les rares traces d’avions dans le ciel.

 

Aujourd’hui, il pleut.
Et cette pluie qui frappe contre les carreaux me rappelle que rien ne me manque plus que l’eau et celui qui me donna le goût d’y plonger, qui m’apprît à nager sur le dos, à ne pas boire la tasse, à oser pour gagner.

 

Aujourd’hui, je voudrais être demain, revoir le bassin olympique de cette piscine municipale où nous allions ensemble. Je veux faire le crocodile sur son dos. Je veux le voir sortir du sauna dans son peignoir bleu et sauter du grand plongeoir pour ses beaux yeux. 
Vœu pieux. Nous sommes trop vieux.

 

Aujourd’hui, nous sommes en novembre 1991. Freddy Mercury vient de mourir. Dans la voiture, sur le chemin du retour, la radio passe « We are the champions ». Première compétition en petit bassin et première victoire pour ma part, celle de finir la course dans le même couloir de nage que celui dans lequel j’étais inscrite et dans lequel j'ai sauté (techniquement ce serait mentir que d’appeler cela un plongeon). Je ne sais plus si ce jour-là je portais ce maillot de bain argenté avec des bandes jaunes fluo que j’adorais. Mais je me souviens que pour m’encourager, cette année, je reçus pour Noël, offerte par ma mère, la panoplie complète de l’apprentie nageuse : sortie de bain vert émeraude, claquettes Arena à semelles à picots massant, bonnet en silicone et lunettes suédoises. J’étais fière. En faisant cela, elle m’encourageait, non à devenir une championne, mais à avoir confiance en moi. Dans les gradins, la famille était réunie. Je ne me trompe pas en disant que ce fut le plus beau moment de ma courte carrière de nageuse. 

 

Mes motivations n’étaient pas tant de décrocher des records, de gagner des médailles, de monter sur le podium, même si j'adorais nager, mais d’user autant que faire se peut mon maillot de bain. Pour une unique  raison, pouvoir porter à l’entraînement deux maillots usés superposés. Cela représentait pour moi le Graal. Seules les « grandes » le faisaient. J’adorais cette dégaine, signe de reconnaissance ultime de notre valeur et ardeur dans le bassin, de notre vitesse de croisière. Le tissu des maillots trempé dans l’eau chloré des heures durant plusieurs fois par semaine, perdait de sa superbe, de son opacité et de son élasticité. La parade, en mettre deux ensemble et ainsi les user jusqu’à la corde et sauver les plus beaux pour la compétition.

 

Tout un art. J’épiais après chaque entraînement les premiers signes d’épuisement qui se traduisaient par l’apparition de petits points jaunes râpeux sur le tissu, comme une maladie contagieuse. C’était une obsession. Le chrono m’importait peu. J’épiais à la lumière du jour la transparence du lycra. Je devais paraître ridicule, superficielle. J’avais le sentiment que j’appartiendrai au groupe qu’à partir de ce moment où je pourrais afficher un double maillot. Mais pour cela, il fallait le mériter. Montrer les preuves de l’endurance, de la persévérance. Précipiter le processus était le meilleur moyen de se retrouver seule au vestiaire, sans coéquipière.

 

Si je ne fréquente plus les piscines qu’en amatrice à la pause déjeuner, je n’ai jamais plus re-croisé de tel accoutrement, c’est ainsi que le qualifiaient les parents.
À l'heure du recyclage, de l'upcycling, quand nous serons à nouveau autorisés à barboter, que dites-vous de (re)lancer cette tendance ?

Artist unknown

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  • : Vodka Lemoni
  • : Pas de justification. Pas de démonstration. Que des tripes avec du style et quelque élégance. Eviter de tomber dans le piège de l'egotrip "Miroir mon beau miroir". Sortir de l'éternelle fatalité "Vous êtes de ceux qui mettent leur orgueil dans ce qu'ils ne font pas" hein Simone. Et pour rendre à Patrick ce qui est à Patrick : "Il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets" So, que la fête commence !
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