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20 mars 2020 5 20 /03 /mars /2020 15:40

Petite, j’avais une amie prodigieuse.
Elle vivait avec ses parents et ses frère et sœur aînés dans une maison avec un jardin merveilleux.

 

Chez elle, on faisait des salades d’endives dans lesquelles on mélangeait des morceaux de pomme et d’emmental.

 

Chez elle, on soufflait - on nous laisser y croire - les commentaires qui accompagnaient les notes dans les copies de mathématique que son père professeur corriger sur un coin de table de la cuisine, pendant qu’on goûtait.

 

Chez elle, on écoutait, derrière le mur de sa chambre, sa sœur s’exercer à la flûte traversière ou son frère dans le garage jouer de la batterie.

 

Chez elle, on s’amusait à dévaliser les armoires et à se transformer en énormes créatures, en superposant manteaux et vestes de toute la famille pour s’affronter dans des combats de laine et de velours, de coton et de plumes. Sous les doudounes et écharpes, on étouffait de rire. Sur le lit parental transformé en ring, on s’entrechoquait sans heurt. On transgressait sagement les codes de bonne conduite, on envahissait les espaces réservés, on s’appropriait les vestiaires qui n’étaient pas les nôtres.

Quand nous étions découvertes, les joues en feu, les cheveux électriques, le cœur emballé, aucune inquiétude d’être grondée ne me traversait. J’avais tout donné, je ne ressentais aucun remord d’avoir froissé quelque ordre. On rangeait sagement, le temps de récupérer notre souffle et nos esprits.


Ce jeu si anodin, puérile, représentait pour moi tant de mondes à explorer. Emmitouflée par des couches de vêtements, je n’avais rien à craindre des chocs, des corps, de l’espace autour de moi. C’était aussi comme déguisée et donc protégée, une autre façon de dialoguer plus libre, plus spontanée et instinctive mais aussi pudique avec cette amie unique car sans qu’un mot ne soit prononcé.

 

Chez elle, tout me plaisait. J’étais aussi petite qu’elle était grande. J’étais aussi brune qu’elle était blonde. Mais j’avais le sentiment que nous formions les deux faces d’une même pièce.

 

Parfois, on nous offrait les mêmes vêtements. Un chemisier vert sapin en velours côtelé immortalisé sur papier glacé. J’étais si heureuse de lui ressembler plus encore croyais-je. Notre apparence jumelle ne faisait qu’affirmer aux yeux du monde notre lien indéfectible.

 

Cela pouvait paraître ridicule. Je n’en avais que faire. Chaque preuve était la bienvenue pour que cela dure.

 

Trente ans plus tard, à l’heure du grand ménage de printemps, au temps du confinement, où l’on cherche à amuser les enfants et les épuiser (accessoirement), je vide les placards à la recherche de tout ce qui pourrait permettre de retrouver le chemin du ring.

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  • : Vodka Lemoni
  • : Pas de justification. Pas de démonstration. Que des tripes avec du style et quelque élégance. Eviter de tomber dans le piège de l'egotrip "Miroir mon beau miroir". Sortir de l'éternelle fatalité "Vous êtes de ceux qui mettent leur orgueil dans ce qu'ils ne font pas" hein Simone. Et pour rendre à Patrick ce qui est à Patrick : "Il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets" So, que la fête commence !
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