Incapable d’applaudir les bras levés à l’unanimité, comme la renommée le voudrait, ni même de ne rien montrer, mais impossible de s’exprimer, de se prononcer à la sortie, encore en sourdine. Comme paralysée, comme affamée aussi, comme si ce déballage manifesté après spectacle était surfait, à l’opposé de la représentation dansée ce soir au Théâtre du Rond-Point, trente ans après sa création par Maguy Marin.
Un jugement ici aurait été une insolence, une incohérence, un véritable contre-sens.
Il aura fallu plusieurs jours pour se remémorer, pour révéler les images, se les approprier, les rejouer, se dire que nous n’avons pas rêvé et les fixer.
Peut-être que tout nous a échappé.
Peut-être que nous sommes passés à côté.
Peut-être que tout est gravé à jamais.
Peut-être est-ce la chose la plus impalpable et la plus incarnée que j’ai eu à regarder.
Pas de grand lancé, de pointe ou d’arabesque à la volée. Des répétitions infinies de gestes étroits, intériorisés, presque invisibles et des souffles, des cris étouffés pour marquer la difficulté à se réaliser, à s’adapter, à s’affirmer, à être dans cet enfer, cette obscurité où les corps de poussière redeviennent chair dans la lumière, s’enflamment et se consument sans modération, ne voyant pas d'horizon.
Comme les Bourgeois de Calais pétrifiés dans leur vie assassine, comme dans nos songes inavoués où les signes distinctifs de la richesse du collectif s’entrechoquent avec les peurs honteuses de chacun dans son coin et finir par tout anéantir.
Peut être tout et son contraire jusqu’au salut, incongru, qui ne veut pas rompre le charme et continue de jouer la ritournelle.
La vie est ainsi faite, qui va finir, sans fin, à l’infini. May B.
Les Bourgeois de Calais, Auguste Rodin
May B, Compagnie Maguy Marin
Maguy Marin, May B au Théâtre du Rond-Point à l'occasion du Festival d'Automne à Paris.